Professeure d’histoire britannique, Clarisse Berthezène, revient sur la semaine éprouvante du premier ministre et ses conséquences pour les Tories.

Propos recueillis par Enora Ollivier Publié le 06 septembre 2019 à 19h25 – Mis à jour le 07 septembre 2019 à 01h46

Semaine éprouvante pour Boris Johnson : en quelques jours, le premier ministre britannique a perdu sa majorité absolue ainsi que des votes décisifs, à cause de la fronde de députés de son camp, qui ont été immédiatement expulsés du Parti conservateur. Cela signifie-t-il que le parti est en voie d’explosion ? Ce serait sans compter sur sa capacité de résilience, analyse pour Le Monde Clarisse Berthezène, professeure d’histoire britannique au Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones de l’Université de Paris et auteure de nombreux ouvrages sur le conservatisme.

On assiste au Royaume-Uni à un déchirement des conservateurs. Le parti est-il en train d’exploser ? Peut-il se relever de cette séquence ?

Le Parti conservateur, qui a connu de nombreuses crises politiques dans le passé, est connu pour sa résilience et sa capacité extraordinaire de retour et de rebondissement. Au début du XXe siècle par exemple, les conservateurs ont connu la crise irlandaise qui, à certains égards, a des traits communs avec la situation actuelle. La question de l’autonomie de l’Irlande (« Home rule ») divisait les partis et le pays au moins autant que le Brexit aujourd’hui.

Mais la machine électorale du parti est puissante et redoutable, capable d’unifier tous les militants. A la fin du XIXe siècle, le Parti conservateur prédisait sa propre perte, ne pensant pas être capable de relever les défis du suffrage universel, notamment du droit de vote des ouvriers, puis des femmes. L’histoire du XXe siècle prouve le contraire, puisque le Parti conservateur a été très largement dominant électoralement parlant.

Boris Johnson, sa personnalité, sa stratégie, peuvent-ils être tenus seuls responsables de la crise actuelle ?

Non, la crise est ancienne. La question européenne divise les partis politiques depuis toujours. Le Parti conservateur est divisé entre de multiples factions et Boris Johnson est le représentant du courant pro-Brexit. La suspension du Parlement est considérée par certains comme un abus de pouvoir, mais, en tout état de cause, ce n’est pas un coup d’Etat.

Il est considéré, pour le reste de ses idées, comme appartenant à un conservatisme « one-nation » (à visage social), comme en témoignent les annonces budgétaires, certes électoralistes, faites il y a quelques jours (budget accru de l’enseignement et de la santé). Il joue sur le fait qu’il faut en finir avec le Brexit pour passer à autre chose et annoncer la fin de l’austérité.

Par ailleurs, on sait combien l’influence de Dominic Cummings (conseiller non élu, qui n’est pas membre du Parti conservateur) est grande et il me semble qu’on devrait se pencher davantage sur ce personnage.

Les tories sont dans un piteux état, mais les autres formations ne sont-elles pas également en crise ? Un autre parti pourrait-il prétendre sérieusement à diriger le Royaume-Uni dans les semaines qui viennent ?

C’est précisément ce qui joue en faveur des conservateurs depuis des mois. Le Parti travailliste est lui-même très divisé sur la question du Brexit. Par ailleurs, les positions de Jeremy Corbyn, jugées très interventionnistes en matière économique, font l’objet de critiques au sein de son parti.

Pour ce qui est des lib-dem, même si un certain nombre de députés des deux camps les rejoignent, ils ne semblent pas en mesure aujourd’hui de présenter une véritable alternative. Les sondages donnent, sous réserve de certaines conditions, le Parti conservateur gagnant en cas d’élections.

La défection d’un député conservateur, qui a rejoint les bancs des libéraux-démocrates en pleine séance mardi, a constitué une image marquante. Est-ce qu’un scénario à la française pourrait être envisagé ? Avec un rassemblement autour du centre/centre droit et un effacement progressif de la droite traditionnelle ?

La base du Parti conservateur est très favorable au Brexit et à Boris Johnson. Les députés conservateurs qui ont été expulsés sont perçus par de nombreux militants comme des snobs qui ne représentent pas la volonté du peuple. Le Parti conservateur traditionnel semble en effet être complètement dépassé par sa droite nationaliste.

Un rassemblement des modérés pourrait se faire autour des lib-dem, s’ils étaient capables de réagir et de construire une machine électorale. Mais le système électoral et le scrutin uninominal à un tour (First-past-the-post) rendent difficile son émergence.

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/06/royaume-uni-le-parti-conservateur-a-une-capacite-extraordinaire-de-rebondissement_5507448_3210.html