Henry David Thoreau – Épisode 1 : Le premier philosophe américain ?

Publié le 20 avril 2017

Avec Thomas Constantinesco, la relation intellectuelle et amicale entre Emerson et Thoreau, nous permet d’aborder l’acte de naissance de la philosophie américaine, et de s’écarter sur des sentiers inexplorés en ces temps d’agitation politique.

 

 

« A travers la tranquillité du paysage […] l’homme contemple quelque chose d’aussi magnifique que sa propre nature », écrivait Emerson. Thoreau, arpenteur et praticien de la nature, marche sur les traces d’Emerson, en naturaliste et poète expérimentant la symbiose de son être avec la nature. Mais il découvre aussi la nature dans sa complexité, parfois inhospitalière et inhabitable, la solitude étant tantôt harmonie, tantôt désolation.

Le texte du jour

Quand j’ai atteint le sommet de la crête, dont ceux qui l’ont vu par beau temps disent qu’il fait cinq miles de long et est constitué d’un plateau d’une centaine d’acres, je me suis retrouvé au beau milieu des rangs hostiles des nuages, qui m’obscurcissaient tout. […] On avait parfois l’impression que le sommet serait dégagé dans quelques instants et resplendirait au soleil, mais ce que l’on gagnait d’un côté se perdait dans l’autre. C’était comme d’être assis devant une cheminée et d’attendre que la fumée se dissipe. En fait, c’était une usine à nuages : il s’agissait de matière nuageuse que le vent extrayait des rochers froids et nus. De temps à autre, je pouvais apercevoir rapidement un à-pic sombre et humide à droite ou à gauche, la brume ne cessant de passer entre lui et moi. […] Nul doute qu’Eschyle avait visité un paysage semblable à celui-ci. C’était immense, titanesque et de ceux qu’aucun homme n’habite jamais. Une partie de celui qui le contemple – et même une partie vitale – semble s’échapper entre ses côtes flottantes à mesure qu’il monte. Il est plus seul qu’on ne peut l’imaginer. Ses pensées ont moins d’envergure et son intelligence est moins affûtée que dans les plaines où habitent les hommes. Sa raison est sombre et dispersée, plus ténue et plus imperceptible, comme l’air. La Nature immense, titanesque et inhumaine l’a pris au dépourvu, piégé quand il était seul et lui a barboté un peu de ses facultés divines. Elle ne lui sourit pas comme dans les plaines. Elle semble demander sévèrement : Pourquoi es-tu venu ici avant ton heure? Ce terrain n’est pas encore prêt pour toi. Cela ne te suffit donc pas que je sourie dans les vallées ? Je n’ai jamais créé ce sol pour tes pieds, cet air pour ton souffle, ces rochers pour être tes voisins. […]

Les sommets des montagnes comptent parmi les parties inachevées du globe, où c’est un peu comme insulter les dieux que d’y grimper, de s’immiscer dans leurs secrets et d’éprouver l’ascendant qu’ils exercent sur notre humanité. Les hommes audacieux et insolents sont sans doute les seuls à y aller.

 

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012

Lectures

Ralph Waldo Emerson, La nature, 1836, trad. Patrice Oliete Loscos, éd. Allia, 2009.

Henry David Thoreau, De la marche, 1862

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012

Henry David Thoreau, The Correspondance of Henry David Thoreau, p.86-87, 1958, Lettre de Thoreau à Emerson, Cahier de l’Herne, trad. Maurice Gonnaud.

Bibliographie

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