Joe Biden sera le 46e président des Etats-Unis, le président élu comme on dit de l’autre côté de l’Atlantique. L’annonce a été faite par l’ensemble des chaînes d’information américaines, après cinq jours de suspens et de tableaux magiques pour entrer dans les arcanes d’une élection très disputée.
Donald Trump avait pourtant revendiqué la victoire dès le soir des élections, et encore aujourd’hui sur Twitter. Rien n’indique à cette heure qu’il soit prêt à concéder sa défaite. Le président des États-Unis, qui s’est plaint d’irrégularités et de fraudes – sans pour autant apporter le moindre élément de preuve – avait mis en garde son opposant : « les procédures judiciaires ne font que commencer ». Cela n’aura donc pas influencé les médias, qui, même la très conservatrice Fox News, ont donc déclaré que Joe Biden avait remporté cette élection.
Les partisans de Donald Trump l’ont dit et répété, ce qu’ils aiment principalement chez lui c’est qu’il fait ce qu’il a promis de faire. Or le président des États-Unis avait prévenu depuis longtemps qu’en cas de défaite, il attaquerait tous azimuts. Car pour le citer, il ne pouvait perdre qu’à la faveur d’une élection truquée, « a rigged election ». Les procès font d’ailleurs partie du processus normal des élections américaines, les règles électorales sont établies par les États et sujettes toujours à interprétation ou à contestation.
Mais cette année est particulière puisque la crise sanitaire a amené plusieurs États comme la Pennsylvanie à assouplir les règles du vote par correspondance. Or c’est le résultat en Pennsylvanie qui a donné la victoire au démocrate.
Alors les choses peuvent-elles encore changer ? Les poursuites judiciaires sont en cours, et si les chaînes de télévision font des projections et déclarent traditionnellement le vainqueur, la déclaration officielle, elle, n’arrivera que mi-novembre, une fois que chaque État aura validé ses représentants.
Comment gouverner ensuite ces États-Unis ? Après la bataille des urnes, la bataille des tribunaux ?
Avec Anne Deysine, spécialiste des questions politiques et juridiques aux États-Unis, Michel Rosenfeld, professeur titulaire de la chaire Justice Sydney L. Robins en droits fondamentaux à la Benjamin N. Cardozo Law School à New York, et François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine à l’Université de Paris.
“Si Trump avait eu encore un mandat de quatre ans, les institutions démocratiques auraient pu énormément souffrir. Il y a un sentiment maintenant que les institutions principales de la démocratie seront sauvées. Peut-être pas pour toujours, mais en tous les cas il y aura une amélioration dans le fonctionnement des institutions américaines, dans la mesure où pendant ces quatre années de présidence Trump a fait beaucoup de mal à l’équilibre institutionnel.” Michel Rosenfeld
“La grande question après l’élection de Trump, quand on a vu qu’il ne respectait pas les règles – à la fois les règles constitutionnelles mais aussi toutes les traditions non écrites, c’était : “Est-ce que les contre-pouvoirs vont tenir ?”. On a vu rapidement que le Congrès n’a pas tenu. Ce n’était pas la faute des institutions, mais des Républicains qui ont fait passer leur intérêt partisan avant l’intérêt de l’institution.” Anne Deysine
“Trump met en cause le processus électoral, il sème le doute afin de mobiliser ses troupes et va même encore plus loin : il considère que la transition en elle-même n’est pas assurée. À ma connaissance c’est sans équivalent. La transition pacifique du pouvoir, c’est la grande caractéristique de la démocratie américaine depuis ses origines. George Washington limite son propre pouvoir à deux mandats, il assure la transition avec son successeur ; Thomas Jefferson, qui en 1800 représentait l’opposition de l’époque, est arrivé au pouvoir sans difficulté ; cette transition pacifique, illustrée par ces pères fondateurs, c’est au coeur de la démocratie américaine. L’attitude de Trump est radicalement nouvelle, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie américaine.” François Vergniolle de Chantal
“Trump a commencé tout une série de procès et jusqu’à maintenant ces procès n’ont aucune preuve : il faut qu’il y ait une vraie fraude, ou il faut ce qui s’est passé entre Bush et Gore en 2000, qu’il y ait une différence de vote très proche. Entre Bush et Gore il y avait une différence d’à peu près 500 votes. Même dans les États où Biden a gagné de justesse, c’est au moins avec 20 000 votes d’avance.” Michel Rosenfeld
“La situation de 2020 est très différente de celle de 2000, parce que, d’abord, la Cour Suprême de 2020 n’est pas la même que celle de 2000. La Cour que nous avons actuellement est plus fragile que celle de 2000. Elle a en particulier un problème de légitimité, puisque les trois juges qui ont été nommés par Trump l’ont été, pour les deux premiers, par des sénateurs Républicains qui ne représentent pas une majorité de la population américaine, et pour la dernière, Amy Barrett, suite à un processus express qui a choqué. Je crois que dans ces conditions la Cour Suprême va être extrêmement prudente.” François Vergniolle de Chantal
“Presque immédiatement après l’élection, Trump a dit qu’il saisirait la Cour Suprême. Ce qui montre qu’il ne connait pas les institutions, parce que la Cour Suprême est une cour d’appel. Elle n’est juridiction de première instance que pour les litiges entre les États fédérés et d’autres cas particuliers. Donc quand une affaire arrive devant la Cour Suprême c’est parce qu’elle a cheminé soit devant des juridictions étatiques, soit dans des juridictions fédérales. Et elle n’est pas obligée d’accepter l’affaire.” Anne Deysine
“Je crois que le Sénat va être un véritable obstacle pour l’administration Biden. Les Républicains ne vont pas hésiter à faire feu de tout bois et en particulier à bloquer les initiatives de l’administration Biden avec une procédure bien connue qui est celle de la flibuste. L’administration Biden va sans doute gouverner comme a pu le faire l’administration Obama, à coups de décrets administratifs, d’ “executive agreements”, des mesures qui sont différentes du vote d’une loi.” François Vergniolle de Chantal