L’équipe du projet EyCon, le Musée du Quai Branly Jacques Chirac, le Labex Passés dans le Présent, l’AHRC et l’université de Paris Cité organisent des ateliers (pour spécialistes) suivis d’une conférence ouverte au public (10 juin 2022, 14h-17h30, salle de cinéma) autour des photographies sensibles et de leurs recirculations contemporaines.
Ateliers & Conférence ouverte au public le 10 juin 2022(14h-17h30, salle de cinéma)
L’utilisation des photographies de la souffrance humaine a attiré une attention considérable de la part des chercheurs au cours des dernières décennies. De Susan Sontag à Susie Linfield et Susan Crane, plusieurs ouvrages majeurs ont abordé la question des usages potentiellement abusifs des “images traumatiques”. L’utilisation, la reproduction et le traitement des photographies sensibles dans le cadre de la recherche historique, de leur mise en archive, de l’enseignement et de la sensibilisation du public soulèvent en effet plusieurs questions.
Un premier problème réside dans la définition même de ce qu’est une photographie chargée d’une forme de violence. Une focalisation stricte sur l’agression physique et la destruction peut faire obstacle à d’autres compréhensions potentielles de ce que sont la souffrance et la violence d’un point de vue théorique. Elles peuvent évidemment prendre des formes peu visibles. En outre, ce qui peut être considéré comme blessant en matière visuelle dépend fortement des contextes du regard. Il faut ainsi tenir compte de la diversité des spectateurs. Dans les contextes coloniaux des travaux récents ont souligné combien il est crucial d’engager des conversations avec les descendants des individus représentés sur des photographies qui expriment souvent des relations de pouvoir extrêmement inégales. Les délimitations juridiques changeantes de ce qui est reproductible sont un autre reflet de l’instabilité des images traumatiques. Du point de vue de l’historien, l’équilibre entre l’effacement potentiel de passés controversés et la prise en compte de l’immense variété d’émotions suscitées par des documents aussi puissants est inéluctablement difficile à trouver.
La question de savoir quel effet les images douloureuses ont sur ceux et celles qui les regardent (mais aussi sur l’archiviste et le chercheur qui les étudient et les manipulent) doit également être au cœur de la discussion. L’opposition entre émotion et rationalisation n’est pas satisfaisante lorsqu’il est question de violence. En ce sens, ce que font les photographies de la douleur, et notamment leur capacité à provoquer des sentiments intenses de répulsion et de tristesse, ne constitue pas nécessairement un argument pour objecter à leur remise en circulation par des spécialistes, pour autant que les méthodes utilisées pour lire ces images et écrire à leur sujet soient bien établies. Au contraire, ces photographies remédiatisées ont aussi un pouvoir de remédiation : elles peuvent provoquer des conversations et favoriser la reconnaissance collective de violences oubliées et rendues invisibles. Elles peuvent bien sûr, et à l’inverse, reproduire les dominations du passé. Enfin, elles peuvent susciter toute une série de sentiments en dehors du cercle des spécialistes qui méritent tous d’être pris en compte lorsqu’on aborde leurs recirculations et leurs re-significations académiques.
Un troisième enjeu réside dans l’analyse du contexte de reproduction et de recirculation de ces images. Entre une dense monographie universitaire, une leçon d’histoire en classe de primaire, un tweet ou une exposition dans un musée, les lieux de la monstration de ces images sont très différents en termes de nature et de public potentiel. Partager les expériences et les perspectives sur la manière dont les différents supports d’images et la prise en compte de la diversité des publics est une manière de s’interroger sur les utilisations historiques et archivistiques de l’imagerie violente et de réfléchir aux meilleures pratiques possibles dans un domaine d’exploration très fluide et incertain.
Programme de la conférence
La conférence est ouverte à tous dans la limite des places disponibles, salle de cinéma du Musée du Quai Branly Jacques Chirac de 14h à 17h30. Un interprète assurera la traduction entre anglais et français
- Nancy Rushohora (Lecturer in the Department of Archaeology and Heritage Studies of the University of Dar es Salaam) Demanding images and the memories of colonial violence in Tanzania
- Kim A. Wagner (Professor, Queen Mary, University of London)‘The most illuminating thing I have ever seen’: The Photographic evidence of the Bud Dajo Massacre 1906
- Susie Protschky (Associate Professor of History at Deakin University,Melbourne, Australia) Late starters: The post-colonial afterlives of war photographs from Indonesia and neglected histories of colonial violence
- Carine Peltier-Caroff (Head of the picture library, Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris) The Meillassou album, the politics of naming and the ethics of showing
- Helen Mavin (Head of Photographs, Imperial War Museum, London) Provisional Semantics: Challenging the imperial gaze in IWM’s Second World War photographs
Pour plus d’informations : www.quaibranly.fr et eycon.hypotheses.org