Colloque international Université de Paris (CERILAC et LARCA), université Paris 3 (IRCAV), avec la participation de New York University (Department of French Literature, Thought and Culture)
16/17/18 mars 2022
Ce colloque est organisé dans le cadre d’une série de rencontres franco-américaines qui ont mis l’accent sur les questions d’espace qui rapprochent et distinguent la littérature et le cinéma dans la pluralité de leurs formes visuelles et sonores. Au fil des interventions, un motif a émergé que nous souhaiterions désormais explorer dans ses dimensions technologiques, politiques, culturelles et artistiques : « le proche et lointain »:
Quand Eisenstein commente Le Sphynx d’Edgar Poe, il relève tout d’abord l’« l’impression intense » que produit sur lui la découverte d’un « monstre gigantesque qui rampe sur les sommets d’une chaîne de montagnes au loin » puis la stupéfaction quand il constate que « ce n’est pas du tout du tout un monstre aux dimensions antédiluviennes mais une bestiole qui grimpe sur la vitre ». C’est bien le choc produit par le changement de perspective qui affecte la perception du lecteur-spectateur, le « cumul optique » dit Eisenstein de « cet énorme premier plan et de la lointaine chaîne de montagnes qui crée l’effet terrifiant si magistralement décrit par Poe. », un bouleversement des rapports entre le proche et le lointain que Walter Benjamin identifie aussi comme le fondement de la création artistique et de ses modes de diffusion à l’ère de sa reproductibilité technique. Après ou avec la littérature, le cinéma n’aura de cesse de provoquer des variations scalaires auxquels l’œil humain n’a pas directement accès. « Un cafard en gros plan paraît 100 fois plus redoutable qu’une centaine d’éléphants pris en plan d’ensemble. ». Reprise par Pascal Bonitzer dans un texte faisant directement écho à La Métamorphose de Kafka, la célèbre citation d’Eisenstein peut être comprise à l’aune des transformations contemporaines de la vision, qu’il s’agisse des façons dont le très petit et le très lointain voient aujourd’hui leurs frontières repoussées par des technologies toujours plus performantes (voir les sondes visuelles envoyées dans l’espace ou les façons dont la science scrute le monde infra-cellulaire) ou des effets d’immersion produits par les changements d’échelle à l’ère des économies environnementales. Nous interrogerons ici les instruments et les figures qui, dans les textes et les images, mettent l’accent sur les mutations de la vision qui remodèlent l’esthétique des œuvres.
Influencées par les nouveaux médias qui ouvrent la voie vers de nouveaux modes d’écritures, les œuvres explorent les effets de dilatations – de perception et de signification – du point de vue de la perte de l’« unique apparition d’un lointain, si proche soit-il » ou de l’ « inquiétante étrangeté » cette défamiliarisation qui hante notre monde contemporain et ses technologies invasives. De Jonathan Swift à Lewis Carroll, la littérature s’est fait l’écho des interrogations et des inquiétudes suscitées par l’abandon de l’échelle humaine comme base et mesure principale du monde. « Gulliverisation » (Erkki Huhtamo) et « devenir plus petit qu’un pixel » (Hito Steyerl), satellite de reconnaissance et microscope, imagerie médicale et googlemap, agrandissement et projection ou au contraire encodage et compression : les régimes de captation, de représentation et de réception sont désormais dissociés de l’anthropométrique. Il s’agira d’étudier la façon dont, au plus près de nos corps et de nos habitus, la technologie produit des formes d’« étrangeté à soi » qui revisitent la place de l’individu dans un monde soumis à de nouveaux régimes de perception et à la réorganisation de l’espace géographique, politique, social et culturel.
Ce colloque s’attachera à interroger la manière dont la reconfiguration des échelles, entre le proche et le lointain, le global et le local, l’intime et l’universel, bouleverse en profondeur notre rapport au monde et à l’autre.
Comité scientifique et d’organisation : Emmanuelle André, Martine Beugnet, Ludovic Cortade, Guillaume Soulez