Intervenantes de la table ronde
- La géographe spécialiste de l’esthétique environnementale Nathalie Blanc – LADYSS, CNRS et Directrice du Centre des Politiques de la Terre ;
- L’historienne spécialisée en littérature politique du 19ème rédigée par des femmes Cécile Roudeau – Directrice du LARCA, CNRS ;
- L’anthropologue, spécialiste des liens multi-espèces et des intersectionnalités des inégalités Renata Freitas Machado – postdoctorante de la Cité du Genre et du Centre des Politiques de la Terre ;
- Une personne de l’association HF – Île-de-France ;
- L’artiste Violaine Lochu ;
- L’artiste Johana Blanc ;
Cette table ronde est animée par la doctorante en littérature et humanités environnementales Clara-Louise Mourier – LARCA, Université Paris Cité.
Intention
Le terme « matrimoine » est un terme juridique imaginé dans la France du 12ème siècle pour désigner les « biens maternels » en contraste de ceux paternels désignés par le terme « patrimoine » (1). Tombé dans l’oubli, le matrimoine a été réactualisé dans les années 2000 sous l’impulsion forte de la metteuse en scène, comédienne, dramaturge, autrice et historienne du théâtre, Aurore Evain (HF Mouvement, 2023 : 2). Le terme s’ouvre alors et devient un domaine plus vaste. De sa simple circonscription notariale de « biens maternels », il regroupe aujourd’hui les diverses approches et pratiques de recherche cherchant à revaloriser et à se réapproprier l’héritage culturel des créatrices du passé gommées par une Histoire écrite au masculin (www.matrimoine.fr). Les femmes créatrices de la seconde moitié du 20ème siècle ne sont plus des pionnières, elles sont « des ‘héritières’ fières de leurs ‘mères’ (HF Mouvement, 2023 : 2) », elles s’inscrivent au sein d’entremêlements pluriels d’herstories (2) qu’il s’agit de restaurer afin d’obtenir une égalité juste entre femmes et hommes au sein de nos sociétés.
L’association HF Mouvement a créé en 2015 les Journées du Matrimoine, en écho aux Journées du Patrimoine, « pour faire émerger [et rendre public cet] ‘héritage des mères’ et rendre visibles leurs œuvres (3) ». Dans le terme, l’objectif de ce réseau d’associations régionales est d’inscrire le matrimoine au sein des programmes scolaires et universitaires, dans les espaces, le langage et l’opinion publique ainsi que dans les politiques culturelles françaises.
En 2024, dans un contexte géopolitique violent où les démocraties modernes sont contraintes de composer avec l’intrusion des limites planétaires tout en étant poings et pieds liés aux intérêts industriels bien ancrés, au poids des infrastructures technologiques et aux cultures inégalitaires et consuméristes, l’écologie politique peut apprendre du matrimoine.
Dans un premier temps – et de manière évidente –, l’écologie politique peut elle aussi hériter d’herstories afin de réapprendre à habiter la Terre, telles que celles décrites par la théorie du care s’intéressant à l’environnementalisme ordinaire. De nombreuses pratiques et activités réalisées par des femmes s’engagent dans la transformation de mondes et la création d’alternatives. Pourtant ces pratiques sociales – artisanales, culinaires, jardinières, rituelles, spirituelles, poétiques, oniriques, somatiques, festives, militantes, performatives, subversives, révolutionnaires, etc. mais aussi juridiques, organisationnelles, relationnelles, graphiques, administratives, logistiques, etc. -, sont mésestimées, considérées comme un espace dépourvu de qualités ne méritant pas d’attention esthétique et par conséquent, invisibilisées. Or, elles constituent des actes de création culturelle puissants au pouvoir d’initier des changements personnels, communs et au sein des relations inter-espèces. Quels sont les artistes témoignant du pouvoir du care ordinaire ?
Dans un deuxième temps, l’écologie politique peut aussi apprendre des processus historiques de persécution et d’éradication des femmes « souvent de leur vivant très reconnues, mais une fois mortes, oubliées …voire, pour certaines, volontairement effacées » fondant le matrimoine. Notre monde est aujourd’hui un relai de transmission : nous sommes à la fois les héritièr.e.s des effets dévastateurs du monde moderne et les testateur.rice.s de futurs générations d’une Terre au devenir inhabitable imminent – elle est déjà inhabitable depuis longtemps pour nombreux mondes (Danowsky, Viveiros de Castro, 2016). Formuler en d’autres termes, en tant que passeur, quels pouvoirs d’agir notre monde peut-il hériter du matrimoine lorsque les vivant.e.s peuplant les vitrines des Musées d’Histoire Naturelle deviennent – à chaque minute – des spécimens de paléontologie, des espèces disparues de l’Histoire ?
En retour et dans un dernier temps, il apparaît que l’existence de l’écologie politique soumet une nouvelle question au matrimoine. Lorsque l’on devient conscient.e.s que les créations des femmes ont été gommées de l’Histoire au même moment que celles de la Nature (Merchant, 2021), on est en mesure de se demander si le geste de « restaurer les lignées d’héritages des Mères » ne pousse pas le domaine du matrimoine à s’ouvrir à d’autres récits. Par exemple, est-ce que le matrimoine peut inclure des espèces compagnes autres que des œuvres d’art ? En d’autres termes, est-il possible de pluraliser cette notion au-delà de son simple rapport antonyme avec celle de patrimoine ancrée dans une logique colonialiste, patriarcale et hétéroséxiste ?
HF MOUVEMENT (2023), « Journée du Matrimoine, Dossier de presse », https://www.lematrimoine.fr/presse-et-ressources/, 15 pages.
DANOWSKY Déborah, VIVEIROS de CASTRO Eduardo (2016), The Ends of the World, Polity books, 180 pages.
HILLENKAMP Isabelle, (2022), « Dans la forêt, le genre: Agroécologie et féminisme dans un environnement sous tension au Brésil », Journal des anthropologues, 168-169:1-2, pp. 79-96.
MERCHANT Carolyn (2021 ; 1980), La Mort de la nature, Les femmes, l’écologie et la Révolution scientifique, Éditions Wildproject, 454 pages.
(1) www.cntrl.fr/definition/matrimoine
Cet événement est coordonné par “>Anne-Sophie Milon et “>Wenjing Guo.