Le Larca se réjouit d’accueillir Michaël Roy, Professeur d’histoire des États-Unis, à partir de septembre 2024.

Quel est ton parcours ?

J’ai fait mes études en classes préparatoires littéraires à Paris, puis à l’ENS de Lyon. J’y ai obtenu un master en études anglophones et l’agrégation d’anglais. Après un passage par le monde de l’édition, je me suis inscrit en thèse à l’université Paris 13, sous la direction de Claire Parfait. Mon travail, à la croisée des études africaines-américaines et de l’histoire du livre, portait sur la publication, la circulation et la réception des récits d’esclaves africains-américains parus dans les décennies ayant précédé la guerre de Sécession. J’ai soutenu cette thèse en 2015. J’ai ensuite été recruté comme maître de conférences à l’université Paris Nanterre, où j’ai enseigné pendant huit ans. Habilité à diriger des recherches depuis 2023, je viens de rejoindre l’université Paris Cité et le LARCA comme professeur.

Sur quoi ont porté tes recherches jusqu’ici ?

Mes recherches portent sur l’histoire de l’esclavage, de l’abolitionnisme et des populations africaines-américaines aux États-Unis de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. Dans le livre tiré de ma thèse (Textes fugitifs. Le récit d’esclave au prisme de l’histoire du livre, ENS Éditions, 2017), j’ai reconstitué les histoires éditoriales d’un certain nombre de récits autobiographiques publiés par d’anciens et d’anciennes esclaves – Frederick Douglass et Harriet Jacobs parmi d’autres – dans les États du Nord entre 1825 et 1861. Je continue de m’intéresser à la figure de Douglass, qui n’est pas seulement un témoin de l’esclavage, mais un militant et intellectuel à part entière, auteur d’un corpus théorique original touchant à la philosophie politique, aux sciences ou encore aux arts visuels. Tout cela est analysé dans un volume collectif que j’ai dirigé, Frederick Douglass in Context (Cambridge University Press, 2021). L’Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIIe-XIXe siècles) que j’ai coordonnée avec Marlene L. Daut, Marie-Jeanne Rossignol et Cécile Roudeau (Hors d’atteinte, 2023) donne à voir un spectre plus large de penseuses et penseurs afro-descendants, parmi lesquels Benjamin Banneker, Hérard Dumesle, Sarah Parker Remond ou encore Louis-Joseph Janvier.

Une autre partie de mes recherches porte sur l’abolitionnisme étatsunien. Le champ des études sur l’abolition de l’esclavage s’est profondément transformé ces dernières années. Une nouvelle génération d’historiennes et d’historiens a abordé le mouvement abolitionniste sur la longue durée, souligné sa radicalité et son inclusivité, et l’a sorti d’un certain isolement en le reconnectant à une pluralité de mouvements et courants de pensée – aux États-Unis et ailleurs – qui lui sont contemporains. J’ai moi-même tenté d’articuler abolitionnisme et socialisme dans mon travail sur Léon Chautard, un socialiste français arrêté dans la foulée des journées de juin 1848, déporté au bagne de Cayenne puis exilé aux États-Unis (Léon Chautard. Un socialiste en Amérique [1812-1890], Anamosa, 2021). Dans Young Abolitionists: Children of the Antislavery Movement (New York University Press, 2024), j’ai étudié la participation des enfants au mouvement abolitionniste. Les abolitionnistes anglophones, étatsuniens en particulier, ont mené un important travail de sensibilisation des enfants à la question de l’esclavage, ainsi qu’à celle, connexe, du racisme, dont les enfants noirs ont une connaissance intime. Il existe tout un corpus de textes antiesclavagistes pour le jeune public, à la tonalité parfois très radicale. Les abolitionnistes savent que leur combat risque de durer longtemps et qu’il faut assurer la relève. Ils tiennent les enfants en haute estime et développent des idées pédagogiques novatrices pour s’adresser à eux. Les enfants eux-mêmes ont écrit sur l’esclavage, à l’école, dans leur correspondance ou leur journal.

Qu’aimerais-tu développer à l’avenir au LARCA ?

Mes projets en cours sont dans la continuité des recherches que j’ai menées jusqu’ici. Je travaille actuellement avec Claire Parfait à l’édition critique de deux récits d’esclaves fugitifs, ceux de Moses Roper (1837) et Josiah Henson (1849), qui paraîtra dans la collection « Récits d’esclaves » des Presses universitaires de Rouen et du Havre. Je suis également associé à un projet d’édition en ligne de la Revue des colonies, première revue noire en langue fran­çaise, publiée par l’abolitionniste martiniquais Cyrille Bissette à Paris entre 1834 et 1842. Je co-organise enfin plusieurs événements scientifiques qui se tiendront en 2025, dont une journée d’étude sur enfance, politique et militantisme au XIXe siècle et un colloque sur l’historienne et féministe africaine-américaine Anna Julia Cooper. Cooper a soutenu en Sorbonne, en 1925, une thèse pionnière sur « L’attitude de la France à l’égard de l’esclavage pendant la Révolution ». Le centenaire de cette soutenance sera l’occasion de lui redonner une visibilité en France.

Ces projets entrent en résonance avec plusieurs thèmes de recherche des membres du LARCA : écriture (auto)biographique, traduction et transferts culturels transatlantiques, histoire de la presse, intersectionnalité, histoire de l’éducation et de l’enfance… J’espère pouvoir initier des collaborations au sein de l’axe Histoire du politique, tant avec les américanistes travaillant sur les migrations, discriminations et inégalités raciales et ethniques qu’avec les collègues spécialistes de l’ère des révolutions, du monde atlantique et des colonialismes. Ma re­cherche sur le récit d’esclave – genre aux « frontières du littéraire » – se prête en outre à des réflexions interdisciplinaires avec la littérature. Le séminaire Nineteenth-Century Worlds (W19), que j’anime depuis l’année dernière avec ma collègue Auréliane Narvaez, sera l’un des lieux où ces collaborations pourront prendre forme. En 2024-2025, plusieurs séances auront lieu à Paris Cité et feront intervenir des membres du LARCA.

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